Législation sur le droit à la déconnexion : comparaison Suisse et France.

La promulgation de la loi Travail en France l’an dernier a introduit pour la première fois la notion de « droit à la déconnexion ».  Faisant suite à l’effacement des frontières entre les usages numériques professionnels et privés, la France a ainsi décidé de légiférer pour le bien-être des salariés. Si l’initiative fait bondir les américains, ce n’est pas le cas des pays européens, et notamment la Suisse.

Le droit à la déconnexion : une nécessité ?

Le précédent gouvernement français a mis sur le devant de la scène le débat sur le droit à la déconnexion. Les usages digitaux se sont en effet généralisés au sein des entreprises équipant les salariés de matériel mobile adapté. Mais cette mobilité a aussi un revers : nombreux sont les collaborateurs qui débordent sur leur temps personnel pour répondre à un email ou vérifier une information.

Si certains tolèrent très bien l’intrusion des outils numériques professionnels dans la sphère privée, d’autres trouvent ce phénomène gênant.

D’après une étude Eleas réalisée en France, 37% des actifs utilisent des outils numériques en dehors du temps de travail. Les plus sollicités sont les cadres : 80% reconnaissent être sollicités en dehors de leurs horaires professionnels auprès d’Ipsos en 2015. 2/3 ont déclaré travailler le soir, 45% les week-end et 27% pendant les vacances.

On constate d’ailleurs que la frontière est perméable dans les 2 sens : 9 travailleurs sur 10 ont ainsi déclaré à une étude Adobe en 2014 qu’ils consultaient aussi leurs mails personnels au travail.

63% des cadres Français déclarent ainsi dans une Enquête APEC-CREDOC en 2014 que cela perturbe leur vie privée et 60% que cela affecte négativement leur qualité de vie.

Ainsi, malgré le fait que 27% des salariés tolèrent cette intrusion, 62% des salariés Français ont exprimé à l’enquête Eleas de 2016, une forte attente quant à la régulation de l’utilisation des outils numériques. Ils sont encore plus nombreux à réclamer une régulation parmi les cadres (75%) et les jeunes âgés de 15-24 ans (76%).

La France a légiféré mais que dit la Suisse ?

Face à ces constats, la France a permis avec la mise en œuvre de la Loi Travail depuis le 1er janvier 2017, que tout salarié français acquiert le droit d’éteindre après sa journée de travail les appareils numériques qu’il utilise dans le cadre de ses fonctions. Toutefois, le droit français ne prévoit pas de sanction particulière en cas de non-respect de cet article de la loi.

Inspirée par la loi française, la conseillère nationale suisse Lisa Mazzone a déposé, en Mars 2017, une motion auprès du Conseil Fédéral pour intégrer à la loi une obligation de déconnexion en dehors des heures de travail, à l’image de la législation française.

Toutefois, le Conseil a rejeté cette motion au motif que les travailleurs Suisse sont déjà protégés par l’article 328 CO de la loi portant sur le travail qui prévoit que l’employeur doit protéger et respecter la personnalité du travailleur et manifester notamment des égards pour sa santé. Dans cette perspective, il doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la vie, la santé et l’intégrité des travailleurs, dès lors que ces mesures sont applicables en l’état dans la structure et équitables.

Si cet article peut intégrer la déconnexion, il ne vise cependant pas explicitement l’hyperconnectivité. Or, le droit à la déconnexion suppose un suivi des activités informatiques des employés qui pourraient poser problème en termes de protection de données. Le Conseil Fédéral a, par ailleurs, réaffirmé qu’il avait déjà produit un rapport « Conséquences juridiques du télétravail » qui soulignait l’importance de définir des laps de temps pendant lesquels du travail était fourni aux travailleurs et d’autres où ce n’était pas le cas. Mais que ces temps devaient être fixés en interne.

Dans cette perspective, l’employeur pourrait donc prévoir dans le Règlement du personnel la possibilité de suivre les activités de ses salariés en le justifiant par le maintien de la santé du travailleur et l’instauration de ces 2 temps de vie.

C’est ainsi que le Conseil a estimé que les limites légales étaient suffisantes à ce jour en la matière. Mais cela ne constitue néanmoins en rien une obligation pour les employeurs.

Cette frilosité montre bien toute la complexité du débat. En effet, si certaines entreprises comme Volkswagen, en Allemagne, ont décidé, avant même qu’il y ait une législation, d’imposer une coupure à leurs salariés en dehors des heures de travail, y voyant une question de santé publique, d’autres estiment au contraire, que ces nouveaux usages constituent une grande liberté. Nombreux sont les collaborateurs qui apprécient aussi pouvoir organiser leur temps de travail comme ils le souhaitent et ne vivent pas la porosité entre sphères privées et professionnelles comme un stress.

Sensibiliser employés et employeurs à cette tendance paraît indispensable de nos jours mais une législation trop contraignante ne semble pas pour autant une bonne solution. La France comme la Suisse, ont bien pris conscience des nouveaux enjeux, toutefois leurs manières de gérer les choses diffèrent. La volonté de la Suisse de ne pas trop intervenir peut aussi se justifier par le respect de la liberté de chacun à s’organiser comme il le souhaite. Protégé par la loi fédérale, si le salarié se pense trop envahi, en l’absence de mention dans le règlement du personnel sur ce phénomène, il pourra porter son problème auprès des tribunaux du travail au titre de la loi sur le respect des travailleurs.

Employeurs suisses, nous ne pouvons donc que vous conseiller, même si la loi ne vous y oblige pas explicitement, de vous concerter avec vos collaborateurs et fixer certaines règles au sein du Règlement du personnel pour vous éviter tout litige à terme.

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